Le fantastique matérialiste, de Lovecraft à Ghostbusters

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Le fantastique matérialiste, de Lovecraft à Ghostbusters

Message par Tobin »

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Le petit guide (moyennement) spirituel de Tobin présente...

Dernièrement, dans le topic sur la comédie fantastique, je concluais par une interrogation un brin gênante (du genre poil à gratter) sur le fait de savoir si Ghostbusters ne tenait pas autant de la science-fiction que du fantastique, voir davantage.
En réalité, la franchise s'inscrit plutôt dans une tendance du fantastique moderne (même si elle n'est pas exclusive : des auteurs comme Stephen King ou Graham Masterton s'en tiennent à un fantastique plus traditionaliste où la science n'intervient pas ou très peu) a "rationaliser" le surnaturel en le faisant entrer dans le domaine des para-sciences mais aussi, plus généralement, d'une conception du surnaturel qui n'est plus de l'ordre du spirituel (de fait, lié à la religion, aux mythes et aux folklores) mais du matérialisme.
Dans la forme, ça ne change pas grand chose et tout est un question de terminologie : remplacez un crucifix ou de l'eau bénite par un pistolet à protons et du slime chargé positivement et vous aurez de la SF plutôt que du fantastique traditionnel à tendance gothique.
Le grand Richard Matheson - auteur de L'homme qui rétrécit et de la Maison des Damnés mais surtout connu pour ses nouvelles à chute et ses scénarios pour La Quatrième Dimension - avait été l'un des premiers à rationaliser le vampirisme, par exemple, dans son fameux roman Je suis une légende en bazardant tout le folklore gothique (mais aussi et peut-être surtout ses relents spiritualistes et religieux) pour en faire une maladie dégénérative du sang et expliquer scientifiquement la raison pour laquelle ses vampires ne supportaient pas l'ail (simple : un agent chimique nocif pour le virus).
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Vous n'auriez pas vu mon microscope ?
Mais Matheson n'avait pas été le premier à modifier le paradigme sur lequel reposait jusqu'alors le fantastique et le surnaturel : ce privilège revient certainement au fameux H.P. Lovecraft dont le fantastique rationaliste et matérialiste révolutionna le genre et alla même jusqu'à créer une "proto-science-fiction" et donc les prémisses de ce que l'on appelle aujourd’hui la science-fiction.

On sait que, chez Lovecraft - profondément athée - le surnaturel n'est pas issu de "fadaises" spirituelles avec ses conceptions d'Enfer, de Damnation et de Salut, mais plutôt d'un univers fondamentalement hostile à l'homme et dépourvu de toute signification morale, où le surnaturel et ses représentants - dieux, démons, entités cosmiques - se situent dans les froides étoiles ou encore "entre les étoiles", bref sur des plans d'existence (des dimensions) différentes et à peine imaginables pour l'esprit humain qui, comme de juste, lorsqu'il cherche à les comprendre et les assimiler, en perd systématiquement la raison.
L'horreur cosmique, voilà ce que le reclus de Providence a inventé, suivi par un grand nombre de continuateurs se réclamant de la même vision anti-spiritualiste et séduits par son originalité, son vertige inhérent, son pessimisme - voir fatalisme - concernant la condition humaine et sa modernité, davantage capable de susciter des frissons (autant prosaïquement que métaphysiquement) plus en phase avec le rationalisme contemporain qui ne craint plus depuis au moins plus d'un siècle des conceptions dépassées comme le péché, la damnation éternel et les démons cornus et fourchus.

Dans Ghostbusters, même s'ils présentent encore quelques similitudes d'apparence avec les vieux démons et autres créatures infernales de la chrétienté (mais il s'agit plus de signes iconiques commodes qu'autre chose), des entités comme Zuul, Vinz Cortho et Gozer sont plutôt les héritiers des entités du panthéon lovecraftien telles qu'Azatoth, Nyarlathotep, Yog-Sototh, Hastur, Shub-Niggurath et le plus célèbre d'entre eux : Cthulhu himself. On notera d'ailleurs que dans la mythologie de Lovecraft, Cthulhu mais surtout Yog-Sototh (le gardien de la porte ou du seuil, ça ne vous rappelle rien ^^) occupent une fonction d'intermédiaires similaire à Zuul et Vinz : ceux qui préparent l'arrivée dans notre monde d'un "bonze" plus important et imposant. En revanche, on remarquera que dans Ghostbusters, Dieu est aux abonnés absents (comme toujours me direz-vous ^^), de même que d'éventuels anges exterminateurs ou rédempteurs.
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Et alors, Tobin ? Vous osez me comparer à ce minus de Gozer ???
Reste la question des fantômes...

L'existence de fantômes implique fatalement (si j'ose dire) l'idée implicite d'une vie après la mort.
Une idée qui - et c'est là que les choses se compliquent un peu - est aussi l'un des fondements du christianisme et, de fait, de tout surnaturel qui en découle. Chez Lovecraft, d'ailleurs, les fantômes brillent par leur absence.
Toutefois, dans Ghostbusters, les fantômes ne sont plus ces êtres éthérés et surtout insaisissables du folklore gothique, bien au contraire : non seulement ils peuvent interagir avec notre monde matériel (ce qui suppose un certain ancrage dans ce qui est substantiel) mais en plus - et logiquement, puisque fonctionnant dans les deux sens - les vivants peuvent les voir, les mesurer en ayant recours à la technologie, les capturer et les stocker. Comme dirait Al Capone/De Niro dans Les Incorruptibles de Brian de Palma : "not intouchables !"
Cette interaction - inimaginable, voir blasphématoire - dans le fantastique traditionaliste et gothique change la donne de manière fondamentale. S'y ajoute toute une nouvelle terminologie héritée du monde scientifique dont Spengler et Stantz ont le secret.
Quid de la dimension métaphysique dans tout cela ?
Il faut constater que, dans l'univers satirique de Ghostbusters, on ne s'en préoccupe guère, voir même pas du tout. Une vision aussi pragmatique que le très pragmatique Peter Venkman en somme, qui est donc - contrairement à ce que sa désinvolture habituelle laisserait supposer - bien à sa place dans l'univers de GB.

Mais continuons un peu notre rapide tour d'horizon du fantastique matérialiste, toujours avec Richard Matheson qui, en 1971, publie le roman La Maison des Damnés.
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Cette histoire d'un scientifique - dont le nom de famille est... Barett ^^ - engagé par un millionnaire à l'agonie qui veut avoir la preuve d'une existence après la mort en le faisant enquêter au sein d'un manoir de sinistre réputation (la maison Belasco) reconnue pour être un véritable carrefour du surnaturel, est intéressante car elle confronte les deux types de fantastique que j'ai déjà cité : le matérialiste et le spiritualiste-religieux. En effet, par souci d'impartialité, le millionnaire mourant oblige le Dr Barrett à compter avec la présence de Florence Tanner, une religieuse mais aussi une médium, qui a une vision toute différente des phénomènes ayant lieu dans la maison Belasco. En effet, Barett ne croit pas en l'idée d'une vie après la mort (et encore moins à une conception transcendante de l'existence) et attribue ces phénomènes à une activité physique (type poltergeist) que l'on pourrait qualifier de "résiduelle" qu'une machine de son invention devrait supprimer sans peine. La médium, à l'inverse, penche pour un phénomène d'hantise, en se fondant notamment sur l’histoire de la maison et la réputation sulfureuse de son propriétaire, Emeric Belasco, qui continuerait ses sinistres agissements après la mort. Je ne dévoilerai pas l'explication finale pour ceux qui ne voudraient pas se faire spoiler mais disons que Matheson trouve une explication un tantinet roublarde en ne choisissant pas vraiment et ainsi de donner raison aux deux antagonistes par une alliance de deux phénomènes pourtant présentés au début comme antinomiques.
Toujours est-il que La Maison des Damnés (le roman sera porté à l'écran en 1973, notamment avec Roddy McDowall) offre une parenté intéressante avec Ghostbusters et sa conception para-scientifique du monde du surnaturel, vocabulaire technique à l’appui.
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Le scientifique borné Vs la nonne illuminée
Plus d'une décennie plus tard, John Carpenter marche sur les traces du roman de Matheson avec son film Prince des Ténèbres de 1989.
Ici aussi, on assiste à l'opposition classique entre idées et méthodes scientifiques (représentées par une équipe de chercheurs et d’universitaires installés - avec tout un équipement électronique dernier cri (pour l'époque !) - dans une église censée être le théâtre et le point de départ d'une Apocalypse de type biblique. Mais précisons que, pour la bonne cause, le computer et le goupillon s'allieront comme le montre cette image :
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Père Donald et le mentor de Karaté Kid se penchent sur le Tobin's Spirit Guide. En vain.
Bon, ici, on ne parlera pas de chiens et chats couchant ensemble mais plutôt de l'arrivée de Satan himself (ou de sa progéniture, je ne sais plus) ! De fait, on trouve aussi la présence d'un prêtre (joué par Donald Pleasance, entre deux évasions de Michael Myers ^^) pour représenter la vision religieuse du cataclysme annoncé.
Détail intéressant en ce qui nous concerne : le Mal est ici représenté par... une substance verdâtre d'origine et de nature inconnue, contenue dans un mystérieux cylindre, lui-même placé dans l'église depuis une époque indéterminée. C'est surtout cette substance qui amènera d'ailleurs les événements horrifiques qui vont se succéder au sein du bâtiment (et de ses alentours) et de l'équipe de scientifiques, avant l'apparition très fugace - pour ne pas dire subliminale - d'une créature à l'allure manifestement démoniaque (le Diable lui-même ou son rejeton).
Prince des Ténèbres a donc des similitudes avec le roman de Matheson et Ghostbusters, l'horreur en plus et l'humour en moins.

J'ai déjà évoqué plusieurs fois le film de Peter Jackson Fantômes contre Fantômes (The Frighteners en VO) comme une sorte de successeur spirituel de SOS Fantômes. Les ressemblances sont, je pense, suffisamment frappantes pour ne pas trop devoir insister dessus : un spécialiste du paranormal aux allures de charlatan (Michael J. Fox), des fantômes au look et rôle humoristiques (les deux acolytes semblant sortir d'un épisode de Starky et Hutch, le juge libidineux, l'ex de la fille à la beaufitude manifeste et même le sergent instructeur de Full Metal Jacket !) qui côtoient néanmoins d'autres fantômes et créatures nettement moins drôles et plus effrayantes (la "Faucheuse", le tueur en série, la folle furieuse du manoir, etc...) sans oublier l'agent du FBI complètement barré (le plus drôle du film) joué par Jeffrey Combs (Réanimator) aussi amusant qu'inquiétant par sa démence sans équivoque.
Mais le film de Jackson m'est toujours davantage apparu - sans vouloir chercher la petite bête - comme un film fantastique en demi-teinte, mêlant sérieux, drame, épouvante et humour.
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Starsky et Hutch ou Casper et Fat Shaft ? Je les confonds toujours.
Et la vision du surnaturel portée par le film dans tout cela ?
Elle est à la fois iconoclaste et traditionaliste : le personnage de Michael J. Fox nous est d'abord présenté comme un charlatan mais employant toutefois de véritables spectres pour créer ses impostures. Et, s'il utilise un bidule pseudo-scientifique invraisemblable, on est loin du contenu (et du jargon allant de pair) scientifique des Ghostbusters. La vision du surnaturel et de l'au-delà demeure assez classique (on a même droit au fameux tunnel de lumière) et moins matérialiste que les oeuvres précédemment citées comme autant de "GB-like".
Ici, ce serait même plutôt un retour aux sources du fantastique gothique, sans toutefois la convocation du religieux. L'originalité/l'audace de Fantômes contre Fantômes est plutôt à chercher du côté de son traitement général et, comme je l'ai déjà dit, de ce mariage - plus marqué encore que dans Ghostbusters - entre épouvante et humour.

Depuis, il ne semble pas que le cinéma fantastique (ou la comédie) nous ait offert d'autres oeuvres qui s'inscrivent dans la lignée d'un GB et c'est plutôt du côté de la SF avec les Men in Black (et son cocktail fort proche mélangeant équipe de "nettoyeurs", humour et action) que l'on doit se tourner.
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Ceci n'est pas un pack de protons, man : c'est un flashouilleur !
D'ailleurs, le surnaturel lui-même revient (assez curieusement) aux fondamentaux hérités du gothisme et du fantastique traditionaliste avec des films à succès comme The Conjuring, Annabelle, Hérédité et toutes ses imitations (souvent ridicules et involontairement risibles) de l'Exorciste que l'on nous sert quasiment chaque année.
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Annabelle : t'es pas la plus belle !
Doit-on y voir un retour, troublant et passablement désagréable, au fantastique imprégné de superstitions, d’irrationalité et autres bondieuseries dans une Amérique - pays principalement pourvoyeur du genre - redevenue conservatrice, conformiste, réactionnaire, coincée et bégeule ?
A vous de voir mais, comme dirait Venckman, pour moi c'est "clairement oui".
En tout cas, nous ne sommes plus dans les années fun et décomplexées du début des années 80.
Et le fantastique - teinté de comédie ou pas - ne se colore plus au slime rose et au rythme funky d'un Ray Parker Jr.
Who ya gonna call ?
Euh...
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Re: Le fantastique matérialiste, de Lovecraft à Ghostbusters

Message par Binooz63 »

Belle et riche analyse du genre, dont je partage pleinement la conclusion :roll:
Je vais essayer de me trouver La maison des damnés et Prince des ténèbres que j’ai pas dû voir... ou beaucoup trop jeune ^^
Merci pour ta prose, Tobin ;)
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Re: Le fantastique matérialiste, de Lovecraft à Ghostbusters

Message par Etigo »

Belle analyse. Par contre, l'acteur du Prince des ténèbres est Victor Wong de Ninja Kids et non Karaté Kid... :-P
Je suis chiant, hein!!! :-P
Et puis le Pack, ça prend de la place, c'est gros. Ah bah oui, c'est un Pack de Proton, ce n'est pas une trousse de toilette... :-P
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Re: Le fantastique matérialiste, de Lovecraft à Ghostbusters

Message par Tobin »

Merci à toi de m'avoir lu :)
J'aime bien rédiger ce genre d'article thématique, agrémenté de quelques images.

L'adaptation ciné de La Maison des Damnés est assez moyenne. Pas mauvaise mais en-dessous du roman de Matheson qui, lui, a nettement plus d'ampleur (et je parle aussi en dimensions de la maison : contrairement au film où le salon est une pièce banale, celui du roman fait... 20 mètres de long !) et m'a marqué quand j'étais ado. Dans le roman, la Maison Belasco (et ses marais putrides avoisinants) est une véritable Cathédrale du Mal où les quatre personnages sont noyés dans les ténèbres.
Dans le film, c'est plutôt une chapelle ;)
Et il y a évidemment cette suggestion offerte par l'écriture, difficile à retranscrire dans un film.

Quant à Prince des Ténèbres, c'est un film qui suscite une angoisse particulière, sourde, pesante et malsaine, qui rend assez bien la menace d'une apocalypse et ferait presque y croire. Et encore accentuée par la musique au synthétiseur de Carpenter, si caractéristique de cette époque (comme pour Christine, Fog, etc...).
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Re: Le fantastique matérialiste, de Lovecraft à Ghostbusters

Message par Etigo »

J'ai commencé à lire la maison des damnés de Matheson. Mais l'ayant oublié dans le sud chez des amis quand j'avais 17 ans... Autant dire que je ne me souviens même plus du début. Il faudrait que j'en rachète un et que je le lise. :-P

Et je me souviens du Prince des Ténèbres. Je l'ai dérangeant. C'était peut-être le but, nan?
Et puis le Pack, ça prend de la place, c'est gros. Ah bah oui, c'est un Pack de Proton, ce n'est pas une trousse de toilette... :-P
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Re: Le fantastique matérialiste, de Lovecraft à Ghostbusters

Message par Tobin »

Et je me souviens du Prince des Ténèbres. Je l'ai dérangeant. C'était peut-être le but, nan?
Oui, je pense :)
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